extrait de la revue "Radiofil" décembre 2005

En 1910, pour faire face au mécontentement de ses agents désarmés devant la diversité des appareils à entretenir, l’administration des PTT adopte et tente d’imposer un nouveau modèle de téléphone généralement appelés type « MARTY » du nom de son concepteur. Bien évidemment, cet appareil regroupe les dernières innovations en la matière.

      Sur le plan technique, ce modèle est de type BL (batterie locale) c’est à dire qu’il lui faut une pile pour fonctionner, contrairement à la technologie BC (batterie centrale) qui s’imposera plus tard et ou l’alimentation est fournie par le central. Le courant d’appel (destiné à avertir l’opératrice) est fourni par une magnéto alors que dans les modèles précédants, il était fourni par un second jeu de piles. Il comprend également une bobine d’induction à 2 enroulements, un groupe de contacts que l’on appelle crochet commutateur et un bornier de raccordement. Le micro est sous la forme d’une capsule facilement interchangeable, tous ces éléments sont commun aux différents modèles ce qui permet de nous attarder sur un seul et unique schéma, sans pour autant vouloir vous faire un cours de téléphonie


     La ligne étant connectée sur les plots L1 et L2, en position raccroché, le courant d’appel, 60v alternatif, passe par les contacts de repos du crochet commutateur et de la magnéto shuntée en position repos pour aboutir sur la sonnerie connectée entre les plots S1 et S2. Dans l’autre sens, en tournant la manivelle de la magnéto, on décourcircuite son enroulement et l’on shunte la sonnerie, de cette façon, le courant généré, environ 60v à 20/25 hertz est envoyé sur la ligne


    En position décroché, le courant (très faible) de modulation en provenance du correspondant arrive après passage dans le secondaire de la bobine d’induction sur les récepteurs en série via les contacts de travail du crochet commutateur. Dans le sens émission, le micro se trouve en série avec la pile et le primaire de la bobine d’induction bien évidemment sous le contrôle du dernier contact du crochet commutateur. Le courant de modulation ainsi généré se retrouve après passage au travers de la bobine sur la ligne par le chemin précédemment décrit.

Applique murale MARTY 1910      La bobine d’induction qui présente un rapport de 1/10 permet également une adaptation à la très faible impédance des lignes de l’époque. Elle est dans un premier temps réalisée sur un noyau de fil de fer émaillé.

        Revenons sur les différents modèles que compte imposer l’administration et intéressons nous tout d’abord à la version murale célèbre par sa boite à sel qui en fin de compte n’était qu’un simple support muni d’un coffret destiné à cacher les piles et astucieusement masqué par un écritoire. Le poste proprement dit était dans sa première version équipé de 2 écouteurs à anneau et d’un micro fixe placé au centre du coffret et surmonté d’une plaque signalétique. A noter que celle-ci portait la mention « transmetteur téléphonique » le mot poste ou appareil n’étant pas encore rentré dans le vocabulaire courant.


mural MARTY avec sa boite à sel         Le microphone fixe s’avère bien vite peu pratique et l’ on passe dès 1912 à une seconde version équipée d’un combiné. La plaque signalétique placée au centre du coffret porte alors la mention « applique murale avec appel magnétique »

classique MARTY 1910         Passons à la version mobile mise à l’honneur dès 1952 par Jaques Taty dans son film « jour de fête ». Elle se présente sous la forme d’un cube reposant sur 4 pieds tournés et surmonté d’une fourche à bascule assez travaillée. Sur cette fourche, repose le combiné spécifique à ce modèle. Son embouchure, à l’origine plate sera par la suite modifiée afin d’en améliorer les performances. Sur le plan technique, la seule différence avec le mural réside dans la disposition des plots sur le bornier de raccordement.
        La troisième déclinaison de ce modèle était une applique murale dépourvue de magnéto et destinée à être installée dans les cabines. Rappelons qu’à l’époque le téléphone n’était pas chose courante et qu’il y avait donc minimum une cabine publique dans chaque commune.


        Tous ces modèles dit« administratifs » étaient loués aux abonnés du téléphone pour 100 à 400 francs environ, cette somme annuelle variait fortement d’une ville à une autre en incluant parfois les communications locales. Sur le plan matériel, les appareils sont réalisés en bois de qualité (fruitier ou exotique). L’ensemble des pièces apparentes y compris les vis était chromé. Le câblage se présente sous la forme d’un faisceau de fils multibrins sous coton, soudé coté crochet commutateur et se terminant par des oeillets sertis coté bobine d’induction et dont les couleurs répondent aux règles édictées en 1895. La plaque signalétique est dans un premier temps en bronze et porte outre la mention «  Propriété de l’état », le type de l’appareil, la date d’adjudication du marché et le nom du constructeur en l’occurrence A.O.I.P. pour ce qui est des premiers exemplaires. Cette même date d’adjudication figure également sur le combiné et le récepteur. S’ajoute à cela , une série de poinçons attestant la conformité des appareils après passage pour contrôle dans les ateliers centraux boulevard Brune à Paris.

    Dès 1918, l’administration ouvrira ses adjudications à tous les constructeurs, aussi ne soyez pas surpris de trouver un 1910 fabriqué par « La manufacture d’armes & cycles de St Etienne » ou d'autres entreprises n'ayant pas la téléphonie comme vocation première.

    Bien vite, cette même administration qui, il faut le dire, n’était pas gâtée sur le plan budgétaire mais peut-être aussi afin de ne pas instituer un monopole de fait, autorise les différents constructeurs à fabriquer pour leur compte le modèle Marty. Tout d’abord, ces modèles en tous points identiques aux types administratifs et également vérifiés et poinçonnés par les ateliers centraux se différenciaient par une plaque photogravée et l’absence d’indication concernant la date de marché ou d’adjudication car ils étaient vendus aux abonnés du téléphone (520 francs en 1928).

 version Picart-Lebas      Puis le système dérape non pas sur le plan technique, mais sur le plan esthétique, chaque constructeur essayant d’imposer un plus, propre à la marque, généralement combiné ou récepteur.

version ThomsonC’est ainsi que Picart-Lebas sort un modèle ou la caisse légèrement moins haute que celle du Marty est surmontée d’une colonne sur laquelle sont accrochés un combiné et un récepteur « montre » propre à la marque bien évidemment. Ajouter à cela que la caisse est en chêne et il n’en faut pas plus pour briser l’effort d’uniformisation entrepris 10 ans plus tôt.

version Grammont






        Avec le modèle Marty, l’administration pensait mettre fin aux  monophones  et combinés à cornet de toutes sortes, peine perdue le 1910 de Thomson est surmonté d’une surprenante fourche destinée à recevoir le célèbre cornet de la marque.

     Gramont plus sage surmonte son modèle généralement en acajou d’une élégante fourche télescopique.

version Dunyach & Leclerc                          Idem pour Dunyach & Leclert ,  Jaquesson et Burgunder dont les fourches à bascule sont beaucoup moins travaillées.

modèle S.I.T.
         Quant-à S.I.T, il innove en proposant un modèle intégrant la sonnerie, malheureusement, son prix , son manque d’esthétique et sa fourche trop fragile le priveront de succès.




modèle A.O.I.P.
modèle Burgunder
modèle La Séquanaise >
P. Jacquesson











         La palme d’or revenant à A.O.I.P. pourtant initiateur du modèle Marty, il trouve le moyen de fabriquer simultanément le type administratif et son propre modèle dont la fourche et le crochet commutateur sont solidaire d’une platine en bronze intégrée sur le dessus de la caisse. A noter que pour Thomson et A.O.I.P. le récepteur se présente déjà sous la forme d’une capsule, progrès incontestable qui aurait pu faciliter la maintenance en cas d’uniformisation.

version 1936 du classique MARTY version 1936  vue par Jacquesson
    En 1934, le modèle évolue non seulement sur le plan esthétique, ce qui entraîne une modification de la fourche afin de recevoir un combiné et un récepteur de type 1924 mais également sur le plan électrique.


        La bobine d’induction est feuilletée et comporte maintenant un troisième enroulement appelé anti-local ce qui améliore légèrement ses performances. Son rôle consiste à améliorer la qualité de l’audition en neutralisant la portion de courant générée par le micro et retournant dans le récepteur. Autre amélioration, la magnéto qui bien que plus petite est tout aussi performante. A noter que ces appareils sont également réalisés en acajou ou bois fruitiers. Par contre, les pieds nickelés et tournés disparaissent des modèles non administratifs.

version 1940





        Le dernier modèle mis en service par l’administration est le type 1940. Nous sommes en guerre et cela se ressent, la caisse est en sapin verni, toute la visserie est en fer, la fourche du crochet commutateur s’est considérablement simplifiée et est également en fer émaillé. Combiné et récepteur sont un mélange de 1910 et 1924 avec parfois de l’alu pour le boîtier. Sur le plan électrique, une nouvelle bobine d’induction apparaît. Il y aura même une tentative (peu concluante) de faite pour réaliser celle-ci en fil d’alu émaillé.

             Arrivent les années 50, la France à toujours des problèmes avec son téléphone et bien que tous ces modèles de type Marty ne soient plus fabriqués, l’administration en assure toujours la maintenance. Alors amis collectionneurs, ne soyez pas surpris de trouver un appareil Grammont avec un combiné Burgunder et un récepteur SIT, ce n’est pas nécessairement un bricolage mais peut-être bien un sauvetage vieux d’un demi siècle.